Jean-François Chevalier, président du Bondy Cécifoot Club : « Le Bondy Cécifoot n’est pas un club de sport du 9.3., c’est un exemple qui rayonne internationalement »

Le Bondy Cécifoot, est l’un des clubs européens phares du cécifoot, dont le développement est accompagné par le Crédit Mutuel. Son président, Jean-François Chevalier, raconte l’exceptionnel parcours de cette association née d’une série de hasards, et de belles nécessités. Interview.

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Publié le 16/10/2025

Le président du Bondy Cécfoot Club, Jean-François Chevalier (à d.) et son éternel complice en générosité, le Directeur Sportif du club, Samir Gassama (à g.). Deux hommes qui ont soulevé des montagnes pour créer en quelques courtes années l'un des plus grands clubs européens de la discipline avec l'aide du Crédit Mutuel (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Le bonheur de marquer un but. Un sourire éclatant, le plaisir de l'effort sportif, la libération après un tir gagnant (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Les règles du cécifoot sont, à quelques détails près, les mêmes que celles du foot "classique" (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Quatre pieds qui se disputent un ballon. Voyants ou non-voyants ? Des sportifs, tout simplement (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Sur le terrain, comme sur tous les terrains du monde où l'on se dispute un ballon, de la technique et de l'engagement physique (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Samir Gassama, le Directeur Sportif du Bondy Cécifoot Club, au milieu de ses joueurs avant un coup d'envoi. Complicité, engagement collectif, combativité dans le respect de l'adversaire, les valeurs cardinales du BCC (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Le Bondy Cécifoot Club a permis à des joueurs internationaux franciliens qui, faute de structure en Île-de-France, s'étaient éparpillés dans plusieurs clubs de province, parfois lointains, de retrouver leur collectif et de s'entraîner chaque semaine ensemble. Le BCC fournit aujourd'hui une solide ossature à l'Equipe de France de cécifoot (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Les infrastructures du Bondy Cécifoot Club : un terrain aux normes internationales et des bâtiments, au coeur d'un quartier dont il est devenu un pôle d'excellence humaine et sportive (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).
Non-voyants, mal-voyants, voyants, enfants, adolescents, adultes, femmes et hommes, mixité intégrale. Le Bondy Cécifoot Club, acteur social par le sport, initiative exemplaire (photo cprght Maxance Chevalier-Bondy Cécifoot Club).

Non touché par la mal ou non-voyance, qu’est-ce qui vous a conduit à créer un club de cécifoot ?
Jean-François Chevalier : Le goût de l’engagement, le souci des autres, la volonté du don de soi. Par défi aussi ! Ma vie à toujours été faite de challenges à contre-pied. Président départemental des parents d’élèves scolarisés dans l’enseignement catholique, j’avais organisé par exemple une « battle » de chorale dont le Crédit Mutuel était partenaire. Dans l’Enseignement Libre, une idée pareille ça n’existait pas. Eh bien nous avons convaincu douze écoles de venir, fait monter 240 enfants sur scène, avec des petits chanteurs de l’émission de télé-réalité The Voice. On a aussi invité le rappeur Black M dans les jeunes écoles pour une action de solidarité. Il venu chanter et nous avons récolté des fournitures scolaires pour les enfants du Mali. On me traitait de fou, mais ça faisait rêver et ça marchait ! C’est à ceux qui vont bien de tendre la main.

Mais pourquoi le cécifoot ?!
Jean-François Chevalier : L’important, c’est moins le « pourquoi » que le « qui » ! Ce « qui », c’est Samir Gassama. Samir, aujourd’hui Directeur Sportif du Bondy Cécifoot Club, était joueur de futsal de haut niveau, et il était aussi membre de mon conseil d’administration de l’Apel, l’association des parents d’élèves de l’école de nos enfants à Bondy. Mais il n’était pas seulement gardien de futsal… Un jour, en 2017, Samir me dit : « Jean-François, est-ce que tu as déjà vu des aveugles jouer au foot ? J’ai monté une équipe, viens nous voir ! ». Avant que j’aie eu le temps de m’étonner, j’étais avec l’un de mes deux fils dans le 13e arrondissement de Paris. Le Sporting Club de Paris, filiale du grand club de Lisbonne le Sporting Portugal, avait une section Futsal et Samir les avait convaincus d’ouvrir une section cécifoot. Et là, j’en suis resté bouche-bée : sur ce terrain de futsal, des aveugles jouaient au foot. Et croyez-moi, personne n’aurait pu imaginer que ces gars-là étaient non-voyants ! Ils driblaient, défendaient, contraient et mettaient des buts à un gardien, Samir, qui lui est voyant (au cécifoot, le gardien est un voyant), avec un niveau technique et engagement physique incroyable. C’était un truc de malade ! J’en suis resté stupéfié pendant des jours. Je n’arrêtais pas de repenser à ce que j’avais vu. Et puis un soir Samir, qui avait été également gardien de l’équipe de France de cécifoot, m’appelle : « Jean-François, j’ai un problème : j’ai été nommé sélectionneur de l'équipe de France de cécifoot, j'ai des joueurs, j’ai un championnat d'Europe à faire, mais je n'ai plus de lieu pour les entraîner car le Sporting a fermé sa section… ». Un défi ? Je l’ai bien sûr relevé !

Vous aviez un terrain, des structures ?
Jean-François Chevalier : Je n’avais rien, évidemment ! Rien, sauf le plus précieux : de l’envie et des interlocuteurs intelligents dans mes relations locales. Sans eux, je ne sais pas ce que nous aurions fait ! J’ai donc appelé la Maire de Bondy d’alors, Sylvie Thomassin, que je connaissais bien à travers mes autres activités associatives et je lui ai dit « Dis-moi, Sylvie, tu serais d’accord pour qu’on accueille l’équipe de France de cécifoot à Bondy ? », elle a fait « C’est génial ça ! Je suis d’accord. Mais tu te débrouilles. Appelle le service des sports, tu leur dis que c’est OK pour moi, et balle à toi pour tout le reste ! ». Je me suis débrouillé pour faire venir du nord de la France des équipements paralympiques, on les a posés et c’était parti ! Et là, Samir me dit « Ah ça serait quand même bien que nous fassions invitions une équipe pour faire un match de préparation… ». Mais avec quel argent ?! Nous n’avions rien, à part des bonnes volontés et des bras ! Inviter une équipe, ça voulait dire héberger, nourrir, transporter, organiser à minima une cérémonie d’accueil… Et là, l’esprit Crédit Mutuel a joué. J’ai appelé mes collègues, les responsables du secteur, je suis venu exposer notre projet accompagné de deux joueurs de l’équipe de France. Nous avons obtenu notre budget à l’unanimité des votants lors d’une réunion du Crédit Mutuel Île-de-France. Et nous avons pu inviter l’équipe de Belgique de cécifoot à Bondy, pour un match contre l’équipe de France en résidence chez nous. Trois jours inoubliables.

Comment avez-vous transformé ce coup d’éclat en projet de long terme ?
Jean-François Chevalier : Une idée grandit parce qu’elle est partagée, et c’était le cas : nous avions conquis la population, des partenaires, il fallait profiter de cette dynamique. Mais nous avons bénéficié d’une opportunité inattendue. Avec la fermeture de la section cécifoot du Sporting Club de Paris, quatre joueurs de l’équipe de France, des Franciliens, que nous avions côtoyés le temps de leur préparation, n’avaient plus de club. Comme pour continuer à évoluer en équipe de France il fallait qu’ils soient licenciés quelque-part, ils avaient rejoint des clubs loin, dans le Nord, à Toulouse. Bref, ils s’entraînaient beaucoup moins. Si nous parvenions à créer un club à Bondy, il y avait de grandes chances de pouvoir les convaincre de venir y jouer ensemble. Problème, il n’y avait pas de terrain permanent capable de nous accueillir ici. A nouveau, la Maire a été à l’écoute et a fait ce qu’elle pouvait faire de mieux. La municipalité nous a confié un terrain en béton, sur lequel elle a créé un synthétique. Nous avons trouvé des financements pour les barrières, les équipements, nous avons créé de petits vestiaires. Nous étions en 2019, l’association a été déclarée en Préfecture, le Bondy Cécifoot Club, le « BCC », était né.

Et vous êtes devenus un grand club de Cécifoot…
Jean-François Chevalier : Tout est allé assez vite en effet. Tout simplement parce que nous avons proposé une offre sportive attractive à des jeunes et des moins jeunes qu’aucune structure ne pouvait accueillir. Après l’équipe de non-voyants (catégorie « B1 »), nous avons été sollicités par des mal-voyants pour qui nous avons évidemment monté une section appropriée (« B2/B3 »). Chaque catégorie dispose aujourd’hui d’un entraînement par semaine au sein d’une structure solide, animée par des éducateurs sportifs de qualité.

A quoi mesurez-vous le succès du Bondy Cécifoot Club aujourd’hui ?
Jean-François Chevalier : Tout d’abord au fait que le club soit devenu un lieu de partage, un lieu de vie dans la cité. Le terrain de cécifoot que nous avons créé est un élément d’attraction pour son quartier évidemment, mais aussi pour tout Bondy et, bien au-delà, un véritable pôle d’animations sociales fortes. Les enfants valides viennent y jouer, y côtoient d’autres enfants qui sont différents d’eux mais qu’ils ne traitent pas avec différence. Ensuite, c’est de pouvoir mesurer que le sport permet à des personnes en grandes difficultés, voire en rupture totale avec le monde – la déficience visuelle est un obstacle majeur pour s’insérer dans le quotidien d’une population voyante – de reprendre l’envie de vivre, et d’aimer la vie. Fiers aussi – mais peut-être faudrait-il dire simplement « heureux », que ce jeune club, soit capable de vivre dans deux dimensions : sociale et sportive. Et puis, pour ce qui est de l’aspect purement sportif, de réussir cette synthèse entre initiation/éducation et haut-niveau. Nous offrons à de jeunes mal et non-voyants la possibilité de s’épanouir, d’être heureux. En même temps, nous entraînons des joueurs de haut-niveau qui contribuent fortement à l’ossature de l’équipe de France. Enfin, je crois que nous sommes le seul club en Europe à avoir à la fois des sections cécifoot et futsal. Si c’est par le cécifoot non-voyant puis mal-voyant que nous sommes nés, nous avons effet ouvert une section futsal féminine, et maintenant masculine. Créer un club pour le « handisport » et ouvrir, ensuite, des sections « valides », est une démarche à rebours de ce qui se faisait jusqu’à présent ! Mais c’est un signal très fort, à valeur d’exemple. Vous savez, changer le regard sur le handicap, cela ne veut pas dire amener des valides au bord des terrains pour qu’ils regardent les handis faire du sport. C’est leur faire partager les mêmes clubs, les mêmes structures, voire les mêmes activités. Certains footballeurs de haut niveau, quand ils viennent voir évoluer notre équipe, sont scotchés par ce dont sont capables nos athlètes non-voyants balle au pied. Comment ils driblent, l’adresse dont ils font preuve. Un valide qui s’entraînerait « en aveugle » améliorerait son contrôle du ballon, acquerrait un supplément de maîtrise qu’il ne pourrait obtenir les yeux ouverts, j’en suis persuadé. Nous avons tous à apprendre les uns des autres.

Les Jeux de Paris et la médaille d’or des Français, grand moment pour vous ?
Jean-François Chevalier : Le mot est faible… J'ai assisté à tous les matchs, à cette montée en puissance vers la finale contre l’Argentine. Et là, à l’issue du temps réglementaire, au moment de tirer les penalties, quand le sélectionneur a choisi pour commencer Martin Baron et Hakim Arezki qui, chez nous, à l’entraînement, n’étaient pas ceux qui les tiraient le mieux, je me suis dit que c’était mal parti… Et les voilà qui marquent tous les deux ! C’est ça, des champions, des athlètes de haut niveau transcendés par l’enjeu, portés par la ferveur d’un stade. Cette génération nous aura donné des émotions sportives auxquelles nous n’osions pas rêver…

…et pour donner à cette génération une succession, vous avez créé au sein du Bondy Cécifoot Club l’Académie du Cécifoot ?
Jean-François Chevalier : L’Académie du Cécifoot est en effet notre nouveau grand projet. Mais nous n’avons pas voulu créer une « usine à champions » ! Nous voulons qu’elle soit un espace d’accueil, de découverte et de pratique à destination des jeunes déficients visuels qui souhaitent s’initier au cécifoot dans un cadre adapté, bienveillant et sécurisé. L’objectif est de leur offrir la possibilité de pratiquer un sport accessible, de bouger, de s’exprimer, de s’épanouir – simplement, comme tous les autres enfants.

Qui vous accompagne sur ce programme ?
Jean-François Chevalier : Le projet a pu voir le jour grâce à un partenariat avec la Ville de Bondy, dans le cadre de l’École Municipale des Sports adaptés. Une classe ULIS d’Aulnay-sous-Bois, composée d’enfants âgés de 9 à 13 ans, est déjà accueillie régulièrement pour des séances sur le terrain du club. Ce lancement concrétise une volonté forte : rendre le cécifoot accessible dès le plus jeune âge, dans un cadre structurant. L’Académie va continuer de se développer dans les mois à venir, avec l’accueil de jeunes déficients visuels plus âgés. L’ambition n’est pas de former à tout prix de futurs champions, mais d’ouvrir un espace de pratique stable et régulier, où chacun peut progresser à son rythme, découvrir un sport peu visible mais profondément formateur. Ce projet reflète l’engagement du Bondy Cécifoot Club pour une pratique sportive inclusive et durable. Il marque une nouvelle étape dans l’histoire du club, attaché à transmettre ses valeurs d’accessibilité, de respect, de plaisir du jeu et de confiance en soi.

Une académie qui va s’exporter ?
Jean-François Chevalier : Mon rêve en effet aujourd’hui, c’est d’exporter le Bondy Cécifoot ou en tout cas de créer des échanges, un programme, avec l’Afrique. Il y a beaucoup de non-voyants là-bas. Au-delà des maladies, la malnutrition est un facteur de déficience visuelle. Samir est allé visiter un institut de jeunes aveugles à Dakar. Ils ont un courage et une envie folle, mais ils ont aussi besoin de nous, pour leur matériel, pour leurs infrastructures. J'ai juste envie de leur amener des ballons, des équipements, des ordinateurs, et de monter des partenariats avec notre club. C’est à ceux qui vont bien de tendre la main...
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CÉCIFOOT, LES RÈGLES : 
Le cécifoot est né en Espagne dans les Années 20, mais c’est en Amérique du Sud qu’il a pris son essort avant de revenir en Europe de manière notable dans les Années 70. Le cécifoot est devenu un sport paralympique à l’occasion des Jeux d’Athènes en 2004. D'un coup d'oeil  : 
. Terrain de 42m x 22m, bordé de barrières latérales de 1,30m de hauteur ;
. Equipe : 10 joueurs sur la feuille de match ; 8 joueurs de champ (non-voyant ou mal-voyants selon les catégories) et 2 gardiens (voyants). 4 joueurs sur le terrain en même temps + 1 gardien ; chaque équipe compte également un guide (voyant), posté derrière les buts de l’équipe adverse, qui indique à ses attaquants leur position exacte par rapport aux cages ;
. Mêmes règles générales que le football classique (pas de hors-jeux) ;
. Le ballon est équipé de grelots qui permettent aux joueurs de le localiser ;
. Catégories : B1 (non-voyants) et B2/B3 (mal-voyants) ;
. Durée d’une partie (championnat français) : 2x20’.